Quelques semaines après la prise de la Bastille en 1789, et le temps que les bruits de cette révolte populaire arrivent dans les colonies d’Amérique près de deux mois plus tard, les colonies françaises d’Amérique sont en ébullition. Depuis plusieurs années déjà, l’effervescence gagnait petit à petit la classe des mulâtres mais aussi celle des esclaves car tous étaient au courant du progrès des idées abolitionnistes appelant à leur émancipation, à plus de liberté et de justice au nom des valeurs de l’humanisme universaliste.
Les esclaves ont déjà, à cette époque, une conscience de classe et emploient dans leurs lettres de doléances adressées aux autorités des formules telles que « nations des esclaves », ce qui « met en relief l’idée d’une collectivité d’hommes ayant un sort commun, des intérêts communs, des aspirations communes ». Toutes ces aspirations rappellent aux plus pragmatiques des Français que quelque chose va se passer et que plutôt que d’en être les victimes passives il vaudrait mieux devancer l’explosion en prenant en compte ce sentiment d’injustice qui gronde au sein des esclaves et des mulâtres.
Mais l’âpreté au gain, justifiée par le juteux commerce en provenance des colonies, ainsi que l’égoïsme racial, qui promeut la Révolution pour soi et le conservatisme pour les autres, retardent toutes les initiatives courageuses. C’est dans ce climat de méfiance qu’une insurrection éclate dans deux ateliers d’esclaves de Saint-Pierre en Martinique, le 31 août 1789. Plusieurs esclaves marronnent et, armés de coupe-coupe, investissent les habitations en incitant les leurs à les rejoindre dans leur sédition. Face à cet outrage, il faut réprimer vite et fort. Les soldats du Régiment de Martinique, appuyés par les Milices de Blancs et de mulâtres, s’attelleront à la tache et étoufferont ce soulèvement qui commençait à se propager dans la ville. Après avoir ramené l’ordre dans les habitations, ils lancent la chasse aux derniers esclaves-marrons et en capturent deux cents. Deux jours après, les deux meneurs, Fouta et Honoré, subirent la peine capitale sans le moindre procès. Parmi les initiateurs de l’agitation, 6 seront condamnés à mort quelques semaines plus tard tandis que les autres seront emprisonnés. L’ordre est revenu. Les autorités ont, en fait, eu vent de cette révolte grâce à deux délateurs, un mulâtre et un nègre, tous deux libres, qui seront récompensés par l’Assemblée Coloniale d’une prime de 600 francs pour le premier et de 400 francs pour le second.
Armand Nicolas constate le dévouement avec lequel les milices de mulâtres réprimèrent cette révolte : « Il est intéressant de noter l’attitude des hommes de couleur libres au cours de ces évènements. Leurs compagnies de milice ont déployé beaucoup de zèle pour écraser le soulèvement et faire la chasse aux ’’ marrons’’ . Si bien que l’Assemblée Coloniale leur exprima des félicitations et récompensa certains d’entre eux. Elle décida que cet hommage serait publié […] L’attitude des hommes de couleur est très significative. Elle exprime d’abord le fait que dans la société coloniale esclavagiste, l’antagonisme maîtres/esclaves n’est pas le seul, qu’un autre antagonisme existe même entre les classes victimes de l’esclavagisme. Les libres tiennent à maintenir les distances avec les esclaves, même s’ils sont issus d’une même race, même s’ils sont affranchis de fraîche date, même si parfois des mariages mixtes se contractent, même si quelques-uns d’entre eux sympathisent avec la cause des esclaves. Et nous touchons là une donnée fondamentale qui expliquera l’attitude des libres tout au long de la période révolutionnaire. Les hommes de couleur ne revendiquent pas l’abolition de l’esclavage et sont dans l’ensemble favorables à son maintien. Une bonne partie d’entre eux ne sont-ils pas, eux aussi propriétaires d’esclaves ? N’ont-ils pas un mépris affiché pour la classe inférieure avec laquelle ils ne veulent pas être confondus, même lorsqu’ils sont victimes de discrimination et de vexations de la part des Blancs ? L’aspiration fondamentale des hommes de couleur libre est d’effacer la tâche de l’esclavage et de se hisser à la hauteur des Blancs : C’est légalité et ils pensent l’obtenir en récompense ’’ de leurs loyaux services ’’ et de leur ’’ collaboration’’ . Cette attitude est celle des hommes de couleur libres de toutes les colonies de la France ( Saint-Domingue Guadeloupe, Martinique ) […]. »
Lorsque la Révolution s’exporte en Martinique, les petits Blancs – par opposition aux grands Blancs, c’est le « bas-peuple » composé de Blancs pauvres mais qui, du fait de leur couleur, se sentent supérieurs aux Noirs et aux mulâtres – deviennent amers lorsqu’ils constatent que l’écart existant entre eux et les gens de couleur s’amenuise. Jaloux de cette classe très entreprenante et active que sont les mulâtres, ils reprochent au gouverneur de les traiter avec respect et de les admettre dans leur rang alors qu’ils ne sont qu’un dérivé du nègre, donc des êtres organiquement inférieurs aux Blancs. Du côté des grands Blancs ( les Planteurs ), les libres de couleur sont de précieux alliés qui ne remettent absolument pas en cause l’ordre établi. S’ils réclament les mêmes droits que les Blancs, en revanche, ils respectent le maintien de l’esclavage des nègres et ne désirent rien d’autre que grimper l’échelle sociale et raciale pour se rapprocher du modèle qu’incarne le Français pur.
À Saint-Pierre, ville où les petits Blancs règnent en maîtres, des bagarres éclatent sans cesse entre mulâtres et petits Blancs jusqu’au carnage de juin 1790. La tension est telle que toute étincelle peut avoir des conséquences terribles. Tous les prétextes sont bons pour casser du mulâtre, et le « bas-peuple » ne s’en prive quasiment jamais. Les petits Blancs de Saint-Pierre rêvaient depuis la création de la milice des gens de couleur ( en 1778 ) de désarmer les mulâtres qu’ils soupçonnaient de complot permanent. Au vrai, leur seule couleur est déjà un complot pour les racistes de Saint-Pierre. Car nous voyons là ce que l’on retrouvera plus tard dans les sociétés industrialisées occidentales : les prolétaires finissent par développer, vis-à-vis de ceux qu’ils considèrent comme inférieurs à eux, un racisme encore plus bête et méchant que celui des élites policées.
Lors de la fête Dieu du 3 juin 1790, les miliciens mulâtres exigèrent donc de pouvoir suivre la procession avec leurs armes comme de coutume. Mais les petits Blancs de Saint-Pierre, préparant un guet-apens, refusèrent la demande et attendirent la fin de la-dite cérémonie pour tuer 7 mulâtres, en capturer 7 autres qu’ils pendirent immédiatement puis entreprirent une véritable chasse aux gens de couleur en allant les chercher jusque sous leur toit pour en emprisonner une bonne soixantaine. Motif de cette chasse ? Ils sont accusés de complot contre les Blancs par les autorités de la ville. Cette tuerie aura un impact fort car c’est à ce moment précis que les mulâtres de Martinique choisissent définitivement leur camp. La concurrence entre les divers partis est telle qu’une claire scission s’opère. Et ce qui devait arriver, arriva. La guerre :
« L’île était divisée en deux camps : D’un côté Saint-Pierre, Fort-Royal, les troupes royales, les équipages des navires marchands et d’importants renforts de Guadeloupe ( conduits à nouveau par Dugommier ), de Sainte-Lucie, de Tobago ;
De l’autre côté les planteurs, les officiers de l’armée, les vaisseaux ( ’’ La Ferme ’’ et l’Embuscade ), de la station, les mulâtres et des esclaves armés »
Durant cette guerre civile, les esclaves qui ne combattent pas pour leur maître sont laissés à l’abandon et certains se laissent à rêver. Ils entrevoient un début de liberté, s’organisent, se projettent sur leur autonomie prochaine, bref ils font eux aussi leur petite révolution. Mais c’est sans compter les intérêts communs des diverses parties en jeu. Le « gouverneur intervient pour rétablir l’ordre, avec l’aide des milices d’hommes de couleur. Car dans cette guerre civile, il y a un point d’accord entre les deux camps : ils entendent maintenir l’esclavage. Et il suffit que les esclaves bougent pour que les deux camps se rapprochent afin de faire face au danger ».
En métropole, on prend conscience de la guerre civile en Martinique quelques semaines plus tard. Le 29 novembre 1790, l’Assemblée Nationale décide d’envoyer des commissaires spéciaux accompagnés de 6000 hommes qui débarquent en mars 1791. La France est-elle abolitionniste à ce moment précis ? Absolument pas. Pour preuve, les commissaires spéciaux sont chargés de rétablir l’ordre. Les esclaves en révolte qui décident de retourner au travail bénéficieront d’une offre généreuse : ils seront amnistiés et leur infâme effronterie sera oubliée à condition qu’ils recouvrent le statut qui sied le mieux à tout bon nègre : celui d’esclave.
Mais il faut revenir sur les volte-faces et revirements des deux Assemblées ( Constituante et Législative ) pour mieux comprendre la colère des mulâtres des colonies. La Constituante est occupée par une forte majorité de bourgeois – les constitutionnels – et lorsque l’on sait que c’est elle qui doit doter le pays d’une constitution et surtout légiférer sur le sort des citoyens de seconde zone des colonies, on ne se fait guère d’illusions. Dans son décret du 28 mars 1790, l’Assemblée Constituante, majoritairement composée d’opposants à l’abolition, désire faire un geste en faveur des gens de couleur qui pourraient bénéficier des nouveaux « droits de l’homme blanc » – pour reprendre le mot de l’abbé Grégoire. Car il faut bien se rendre compte que, jusqu’ici, seuls les Blancs profitent de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789. La précision « homme blanc » n’est pas de la provocation puisque les femmes sont elles aussi exclues. On se questionne donc sur le sort des mulâtres : sont-ils des hommes comme nous ?
Mais c’est sans compter le fanatisme des colons blancs et de leur lobby ( le club Massiac ) qui crient à la trahison et voient là un engrenage dangereux : accorder des droits politiques et civiques aux mulâtres c’est amorcer le premier pas des futurs droits pour des esclaves qui ne manqueront pas de les revendiquer. C’ est, par conséquent, signer la perte des colonies.
Le 13 mai 1790, la Constituante maintient totalement l’esclavage et affirme qu’ « aucune loi sur l’état des personnes non libres ne pourra être faite pour les colonies, que sur la demande formelle et spontanée des assemblées coloniales ». Elle refuse de se prononcer en faveur des mulâtres. Mais le débat refait surface et un vote accorde, deux jours plus tard, soit le 15 mai, les droits politiques aux « gens de couleur, nés de père et mère libres » …avant qu’elle ne revienne dessus en septembre pour l’annuler à nouveau et remettre le sort des mulâtres aux Assemblées Coloniales. En Guyane, les Indiens ont plus de chance puisque l’Assemblée Coloniale décrète qu’ils sont tous citoyens… sauf ceux qui sont métissés de nègres.
L’Assemblée Constituante hésite et elle qui « avait laissé entendre que les mulâtres étaient concernés lorsqu’elle accordait les droits politiques à toutes personnes libres, sans préciser » finit par annuler purement et simplement ce même décret en octobre 1790. On joue donc au jeu du chat et de la souris et les nerfs des mulâtres des colonies vont finir par lâcher.
Mais quelle est la position des alliés naturels des mulâtres, à savoir les Planteurs ? On aurait pensé qu’ils seraient au moins partisans de l’accession des gens de couleur à certains droits, vu la loyauté de ces derniers vis-à-vis d’eux. Eh bien non ! Ils « plantent » leurs associés en leur demandant de laisser faire le temps, sans prendre le risque de se les aliéner car les hommes de couleur forment une puissance militaire indispensable dans les colonies.
Le 28 mars 1792, l’Assemblée Législative, qui succéda à une Constituante incapable de légiférer définitivement sur le statut des sous-citoyens des colonies, finit par lâcher le morceau tant attendu : les droits politiques sont accordés aux hommes de couleur libres. Mais les esclaves noirs demeurent des « meubles » et sont encore exclus.
Mais revenons sur la fin du rôle du roi et la naissance de la République. Le 10 août 1792, le peuple en arme met fin à la royauté en prenant d’assaut le Palais des Tuileries. Louis XVI est mis aux arrêts. Jugé avec des preuves accablantes de sa trahison contre la Révolution, il est condamné à mort et décapité le 21 janvier 1793, à l’âge de 38 ans. La monarchie est définitivement morte. Après ce geste, plus moyen de revenir en arrière. C’est exactement ce que voulaient les très radicaux membres de la Convention : une rupture totale et définitive avec l’Ancien Régime. Mais en Martinique tout s’accélère. Les clans se dessinent. Républicains ou monarchistes ? Les petits Blancs de Saint-Pierre, poussés par leur haine des grands Blancs royalistes et des mulâtres, prennent le parti de la République dès que celle-ci s’installe. Les Planteurs ( les grands Blancs ) et les mulâtres soutiennent toujours la monarchie.
Appuyés par deux milles homme de troupes, Donatien Rochambeau est envoyé en Martinique où il est chargé de gouverner les colonies après la destitution du gouverneur Béhague par l’Assemblée Nationale. Mais lorsqu’il arrive le 16 septembre 1792, il est défié par Béhague de Villeneuve. Le très autoritaire gouverneur de Martinique brandit le drapeau blanc royaliste et ouvre le feu sur Donatien Rochambeau en signe de défiance.
Donatien Rochambeau n’insiste pas et se retire vers Saint-Domingue. Mais sa mission étant de remplacer le gouverneur Béhague, il décide d’user de la ruse pour convaincre les indécis et permettre une conquête de l’île sans effusion de sang. Il envoie pour cela un émissaire, le cauteleux capitaine Lacrosse qui a pour mission d’amadouer les mulâtres alliés aux Planteurs. Lacrosse flatte les gens de couleurs. Il insiste sur le maintien de l’esclavage des Noirs dans le cadre républicain : « Notre union sera notre force et l’esclave, votre propriété, sera attaché à ses travaux par l’exemple que vous lui donnerez (…) ».
Les mulâtres sont-ils convaincus pour autant ? Sans doute. D’autant que Lacrosse menace aussi. La République, fait-il comprendre aux gens de couleur, peut aussi écraser les royalistes et dans ce cas le risque est de tout perdre. Alors pourquoi combattre un régime qui reconnaît les droits des mulâtres et leur autorise à garder les esclaves qu’ils possèdent ? Le succès de la mission est à portée de main et une partie des mulâtres finit par lâcher le camp suicidaire des royalistes pour se rattacher à une République qui leur propose bien plus que ce que les Planteurs ambitionnent pour eux.
Pour l’historien martiniquais Armand Nicolas le message est limpide :
« Voilà donc une adresse marquée au coin d’un opportunisme à peine masqué. En gros, cela revient à ceci : ’’ Nous ne sommes pas les plus forts, on nous a promis de maintenir l’essentiel c’est-à-dire l’esclavage. Rallions-nous pour sauver la colonie…et nos propriétés ’’ »
La fin est proche pour les Planteurs. Ils viennent de perdre des hommes précieux et même si bon nombre de mulâtres demeurent royalistes le coup est moralement très rude. Donatien Rochambeau finit par enfin débarquer en Martinique en février 1793 et instaure la République. Le gouverneur Béhague fuit vers Trinidad et Donatien Rochambeau est promu nouveau gouverneur de l’île.
C’est là que les plus irréductibles des Planteurs entrevoient l’alliance avec l’Angleterre. Car en Europe, toutes les monarchies saisissent le danger de la Révolution française et toutes s’opposent à la République. Le 1er février 1793, quelques jours après la décapitation de Louis XVI, la France déclare la guerre à l’Angleterre et à la Hollande. Le 7 mars, une coalition monarchique entre en guerre contre la République française. On trouve dans cette coalition : l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre, la Hollande, la Russie, l’Espagne, le Portugal, entre autres.
En Martinique tous ces évènements ont revigoré les partisans du vieux système esclavagiste et à peine un semblant de calme semblait poindre depuis l’instauration de la République par Donatien Rochambeau que la guerre civile repartait de plus belle.
Il faut dire aussi que l’accord de Whitehall a été signé entre les Planteurs martiniquais et les Anglais. Cet accord permet aux Anglais d’occuper l’île avec l’aide des Planteurs afin que perdure le système esclavagiste. Les grands Blancs préféraient s’allier à l’ennemi anglais plutôt que de voir un régime démocratique républicain détruire leurs privilèges.
Le 16 juin 1793, les Anglais tentent l’invasion de l’île. L’amiral Gardner et deux milles hommes, appuyés par les colons royalistes martiniquais, attaquent. Mais Donatien Rochambeau réussit à les repousser. De leur côté, les esclaves s’agitent toujours. Trop selon Rochambeau. Le nouveau gouverneur prescrit donc un remède radical pour les calmer :
« Il faut que les patriotes réunis fassent rentrer les esclaves dans leur devoir, qu’ils les rendent à la culture et à leurs maîtres…Je suis sûr que les hommes libres de couleur qui ont combattu sous mes yeux avec tant de courage sentiront l’importance de ces vérités utiles ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Il envoie le mulâtre Bellegarde qui s’était déjà illustré au Lamentin et au Gros-Morne contre les royalistes et dont Donatien Rochambeau dit le plus grand bien. Ses hommes rectifient les esclaves et les font retourner dans les ateliers. La République, abolitionniste ? Absolument pas.
Le 6 février 1794, les Anglais tentent à nouveau l’invasion de l’île mais cette fois avec plus de réussite. La Martinique est attaquée sur trois points et les Républicains sont vite débordés. Pis, le mulâtre Bellegarde, sentant le vent tourner, a pris la poudre d’escampette avec tous ses hommes pour rejoindre les Anglais. Cette trahison des mulâtres est très mal perçue par les Républicains lorsque l’on pense à tout le mal que s’étaient donnés le capitaine Lacrosse et Donatien Rochambeau pour leur attribuer des postes-clés. Assiégé pendant 43 jours avec ses hommes, Rochambeau se bat comme un lion avec tout ce qu’il peut mais finit, exténué, par se rendre le 21 mars. Les Anglais ont gagné la partie.
Donatien Rochambeau refera parler de lui à Saint-Domingue quelques années plus tard, lors de la Révolution haïtienne. Il fit venir 1500 chiens de Cuba, des monstres de la race des dogues qui étaient des « tueurs de nègres ». Ces molosses étaient nourris depuis leur jeune âge avec de la chair humaine. Les dressages avaient parfois lieu avec des cobayes qui étaient de jeunes esclaves noirs.
Durant cette reconquête pour rétablir l’esclavage napoléonien, il fit dévorer des centaines de nègres et de mulâtres par ces monstres dressés pour « kill and eat » – tuer et manger.
En plus d’avoir terrorisé des Noirs durant cette sale guerre avec ses dogues, Rochambeau organisait aussi des « jeux du cirque » près de son palais avec tribunes de spectateurs d’officiers qui assistaient, joyeux, à des consommations de nègres, vivants et attachés à des poteaux. Vive la République !
Revenons à la Martinique – qui est désormais anglaise. L’abolition de l’esclavage qui est annoncée le 4 février 1794 par la Convention ne sert plus à rien. Le temps que son application soit connue des Martiniquais ( en général 8 semaines plus tard, correspondant au temps de la traversée de l’Atlantique ) la Martinique était anglaise.
Qui est vraiment à l’origine de cette première abolition ? Pour l’Histoire, c’est le commissaire civil Sonthonax, envoyé à Saint-Domingue. Saint-Domingue, la plus grande et la plus riche des colonies françaises. Elle correspond pour l’époque à ce que sont, de nos jours, les monarchies pétrolières du Golfe. Mais la révolte des esclaves y est aussi plus violente qu’ailleurs. L’esclave Boukman prit la tête des insurgés dans la nuit du 22 août 1791 et, à eux tous, ils tuèrent un bon millier de colons au cri de « vive la liberté », tout en mettant à sac les sucreries et caféières de l’île.
En août 1793, 50.000 esclaves se révoltent à nouveau. Mais depuis l’annonce de l’exécution de Louis XVI en janvier 1793, les grandes monarchies européennes sont en guerre contre la France. Le délitement des colonies est bien entamé et la toute jeune République ne peut faire face sur tous les fronts. D’ailleurs, des hommes de troupes issus de la partie Espagnole de Saint-Domingue et du Venezuela sont déjà entrain d’envahir l’île par l’ouest, tandis que les Anglais sont au sud. Sans même attendre l’assentiment de la France, le commissaire civil Sonthonax prend seul le risque de déclarer l’abolition de l’esclavage dans la zone qu’il contrôle – en août 1793. Cette stratégie est le seul moyen pour lui et son acolyte Polverel de mettre les 500.000 esclaves de leur côté et de déjouer les projets espagnols et anglais. Et cela marche.
À l’annonce de l’abolition de l’esclavage, les « Blancs et la majorité des mulâtres font alors cause commune pour appuyer les Anglais qui menacent l’île d’invasion ». Mais la résistance noire, on le sait, ne pliera pas.
La Convention ne fait proclamer l’abolition de l’esclavage qu’en février 1794 en validant la mesure de Sonthonax et en l’élargissant aux autres colonies. Il a fallu attendre plusieurs années et des milliers de morts pour en arriver là par pure hypocrisie. La fin des privilèges en France ne pouvait s’appliquer dans les colonies sans fâcher les colons.
Le point de départ de cette abolition est donc la révolte des esclaves de Saint-Domingue. Et si la République reconnaît que les droits de l’Homme s’appliquent enfin aux esclaves en 1794 ce n’est que par calcul stratégique. Elle ne voulait pas perdre cette perle d’Hispaniola et n’a aboli l’esclavage que contrainte et forcée.
Seule la Martinique occupée par les Anglais échappa à l’abolition parmi les colonies françaises…
NB : toutes les citations entre guillemets et en italique gras sont tirées d’« Histoire de la Martinique », édition l’Harmattan, d’Armand Nicolas.
© Kahm Piankhy – juillet 2006
Source : www.Piankhy.com