D’emblée, Marie Treps avoue une crainte : « Je ne voudrais pas que mon ouvrage alimente la rigolade et qu’il devienne comme une bible ».
Aucun risque.
Avec Maudit mots (Tohubohu éditions), la linguiste a mené l’enquête. Sérieusement. Avec sa curiosité en guise de lampe-torche, elle est partie explorer la forêt dangereuse des insultes racistes.
Elle nous éclaire sur les racines du mal, qu’elle exhume avec précaution pour mieux les porter à notre connaissance. « Je m’intéresse aux mots et à ce qu’il y a derrière. Les mots sont le miroir de notre société. Ils apparaissent dans un certain contexte » dit-elle.
Son champ exploratoire concerne les mots outrageants et humiliants, les mots qui blessent, les mots qui tuent.
L’insulte xénophobe, publiée ou non, est un poison. Elle attaque le tissu sain de la démocratie jusqu’à la pourrir.
En cas d’intoxication majeure, dans les périodes de crise aiguë, en cas de guerre par exemple, elle peut même banaliser l’irréparable. On ne rafle pas des hommes mais des « youpins ». On ne fait pas monter au front des tirailleurs Sénégalais mais des « bamboulas ».
L’être humain a disparu. On envoie à la mort sa caricature.
Pour le raciste, être différent, c’est être contraire.
Pendant la Première Guerre mondiale, la France coloniale utilisait des tirailleurs sénégalais, forcément « joviaux » et « disponibles » pour la grande boucherie.
La marque Banania s’empara de leur image afin de promouvoir la marque d’un chocolat en poudre. Ce qui fit dire à Léopold Ségar Senghor, poète et chantre de la décolonisation : « Je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France« .
Insultes adressées au Noirs, aux Arabes…
Voici donc quelques insultes et leurs origines dévoilées.
L’auteure a pris soin, pour chacun de ces mots, de l’illustrer avec des extraits d’ouvrage où l’on trouve les « mots maudits ». Les exemples empruntés relèvent de textes signés parmi les écrivains les plus fameux de la langue française : Maupassant, Cendrars, Céline, Pérec etc. Marie Treps compartimente ses chapitres avec un catalogue d’insultes adressées aux Allemands, aux Arabes, aux Asiatiques etc.
Nous ne donnons ci-dessous, en guise d’amuse-bouches, que quelques précisions sommaires.
Bamboula
Terme culturel africain devenu appellation raciste à l’égard des personnes noires, des Africains en particulier. Ka-mombulon, kam-bumbulu, « tambour », emprunté aux langues sarar et bola, parlées en Guinée portugaise, est introduit par
Michel Jajolet La Courbe, de la Compagnie du Sénégal, dans Premier voyage fait par le sieur La Courbe a la coste d’Afrique en 1685. (…) Entre 1914 et 1918, par l’intermédiaire de l’argot militaire des tirailleurs algériens, bamboula en vient à désigner une fête exubérante, notamment dans l’expression faire la bamboula. Il désigne dans un même temps un tirailleur sénégalais
Boucaque
Terme injurieux raciste, récemment apparu. Il est notamment utilisé dans le sud de la France à l’encontre de personnes dont la peau est sombre. Ce mot-valise, association de bougnoul, mot raciste appliqué aux Arabes, et de macaque, mot raciste appliqué aux Noirs, surgit à la fin des années 1990. (…) Toute référence raciale ou culturelle particulière étant gommée, boucaque est une sorte de terme générique, une injure raciste passe-partout.
Toubab
Le mot vient de loin. Son ancêtre, toubib, emprunté à l’arabe, est relevé au Maroc au cours d’un voyage exploratoire et glosé comme « médecin ». (…) Toubab est employé en Afrique de l’Ouest, dans le sens noble originel ou alors, avec une nuance péjorative, dans celui d’homme blanc tout-puissant. (…) Dans les années 1990, quand la jeunesse française s’approprie toubab, en inventant au passage une forme en verlan, babtou, elle ne retient que le sens péjoratif du mot
Youpin, youpine
Désignations injurieuses et racistes appliquées aux personnes juives.
C’est dans le Tam Tam, revue créée en 1867 par le caricaturiste Alfred Le Petit, que youpin apparaît en 1878. ainsi vouée d’emblée à un usage dépréciatif, il a été créé par déformation de l’hébreu yëhûdî « Juif », selon certains, de youdi ou de youtre, selon d’autres. Et au moyen du suffixe argotique – pin, que l’on retrouve également dans Auverpin, désignation péjorative de l’Auvergnat.
Niakoué (e), Niaqué (e), Niaquoué (e)
Désignation péjorative et raciste appliquée aux Asiatiques, en particulier à ceux originaires de l’Asie de l’Est ou du Sud-Est. Le mot vietnamien nhà quê désigne la campagne et, avec une forte couleur péjorative, celui qui en vient : « paysan », « villageois », « péquenaud ». Dans le contexte de la colonisation, le mot a d’abord été employé par les Français d’Indochine, pour se moquer des paysans vietnamiens, puis appliqué à l’ensemble des Indochinois.
Christiane Taubira, la ministre-guenon
Du passé tout cela ? Pas du tout. Christiane Taubira est originaire de Guyane. Quand elle était Ministre de la justice, une ex-candidate frontiste l’avait comparé à une « guenon ». Minute, un hebdomadaire d’extrême-droite, affirma en « une » que la ministre était « maligne comme un singe » et qu’elle avait « retrouvé la banane ».
L’ex-candidate et l’hebdomadaire ont été condamné.
Mais est-ce bien suffisant pour décourager toute récidive ?
Comme l’indique Marie Treps dans la préface de son ouvrage « L’injure raciste est portée sur la place publique via la presse, les médias audiovisuels et l’Internet. Or, ces lieux médiologiques de transmission et de mémoire assurent la circulation des insultes spontanées secrétées dans la sphère prive et ils les pérennisent. (…) En face de l’arsenal des sanctions propres à punir, on esquive. Les mots de répertoire sont soigneusement évités par les ténors du racisme et de l’antisémitisme, mais il suffit à chacun d’eux de parler par insinuation, d’user de périphrases, pour que tout le monde comprenne ce qui a été dit en réalité, car nous sommes dans une culture du racisme anciennement installée ».
Cet ouvrage n’est pas un vaccin contre le racisme mais il permet de mieux appréhender les racines du mal.
Un mal, des mots.
« Maudits mot, la fabrique des insultes racistes »
Editions Tohubohu
328 pages
20 euros