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L’influence de la révolution haïtienne

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L’insurrection d’août 1791 avait « inauguré, selon Oruno D. Lara, un triple processus, engendrant la destruction du système esclavagiste, de la traite négrière et du système colonial ».

Un autre phénomène fut étroitement lié aux événement de Saint-Domingue. Une véritable propagation révolutionnaire eut lieu dans l’ensemble des Caraïbes et des Amériques, et même au-delà. On connaissait partout le sort des colons blancs qui avaient dû quitter l’île et se réfugier à Cuba, à Porto Rico, aux États-Unis, en Amérique du Sud, ou revenir en Europe.



Le ministre espagnol Floridablanca demanda aux vice-rois du Mexique et de Santa Fé, ainsi qu’aux gouverneurs de Cuba, de Porto Rico, de Santo Domingo, de Trinidad et de Cartagena, de rester neutres. Il les autorisait toutefois à aider les colons blancs à « faire face » aux insurgés  en leur procurant des vivres, des armes et des munitions. Il fallait selon lui arrêter  « la contagion de l’insurrection pour qu’elle ne se communique pas aux possessions espagnoles ». À Cuba, le cabildo de la Havane, le 16 décembre 1796, redoutait les « complots » des Français, leur influence sur les « gens de couleur » et auprès des palenques de nègres cimarrons qui se multiplièrent alors, notamment dans la région de l’Oriente ou dans la zone des mines de cuivre de Santiago del Prado del Cobre. Des soulèvements d’esclaves se produisirent entre 1792 et 1796 dans les exploitations sucrières au voisinage de la Havane, Puerto (sic) Principe et Trinidad. Engagés aux côtés des Blancs, ils réclamaient l’égalité, l’abolition des impôts et une distribution des terres.



Le gouverneur de la Jamaïque, le général George Nugent, se plaignait à son ministre en mars 1803 de l’importation par les émigrants français à Kingston de nègres esclaves de Saint-Domingue qui constituaient une grave menace pour la société coloniale de l’île. Aux États-Unis, les agitations de la période 1800-1830 dans les plantations étaient attribuées aux réfugiés noirs originaires de Saint-Domingue. La deuxième guerre des Marrons de Jamaïque, à partir de 1795, fut aperçue comme un effet de la rébellion de Saint-Domingue. D’autant que l’insurrection se déroula au moment où la majorité des troupes régulières de Jamaïque se trouvaient engagées à Saint-Domingue. Deux leaders des Maroons, James Palmer et Leonard Parkinson, menèrent les opérations contre les milices et 1500 hommes de troupes dépêchés par la Grande-Bretagne. Finalement, les Anglais entreprirent la déportation de 568 de ces Maroons, qui partirent le 6 juin 1796 pour la Nova Scottia. Une rébellion d’esclaves éclata ensuite dans l’île en 1798, dirigée par Cuffy, d’origine Akan. Des soulèvements eurent lieu dans les colonies hollandaises, à Curaçao en 1795, en Guyane, dans la province de Demerara-essequibo ( capitale : Stabroek, Georgetown ). Nègres cimarrons et esclaves s’allièrent dans les campagnes pour s’organiser et se libérer. Les insurgés criaient des mots d’ordre révolutionnaires : « liberté », « égalité »…Les Pays-Bas cédèrent aux Anglais, en août 1814, Demerara, Essequibo et Berbice, qui devinrent la Guyane britannique le 4 mars 1831.

De 1795 à 1800, des insurrections d’esclaves minèrent également les possessions espagnols et portugaises : Nouvelle-Grenade, Guayana (sic) vénézuélienne, Brésil jusqu’au Rio de Plata et à l’Uruguay, et surtout le Venezuela, à Coro, Cumana, Carupano, Cariaco, Rio Caribe, Maracaîbo et Cartagena. La région de Coro fut ébranlée le 10 mai 1795 par une rébellion de 300 nègres et pardos, conduits par deux affranchis, José Leonardo Chirino et Josef Caridad Gonzales. Plusieurs haciendas furent pillées. Les insurgés se répandirent dans la ville de Coro après avoir proclamé ouvertement leurs objectifs :


1) l’application de la « loi des Français », c’est-à-dire l’établissement d’une république démocratique ;

2) la liberté des esclaves et l’abolition de l’esclavage ;

3) la suppression des tributs payés par les Indiens (demora) et des impôts comme l’alcabala ;                                 

4) l’élimination de l’aristocratie blanche.

Mal préparé, mal armé, sans contacts extérieurs, ce premier mouvement séditieux fut rapidement réprimé par les autorités locales. Le meneur principal, le zambo Chirino, avait établi des liaisons avec les corsaires français qui fréquentaient la côte (La Vela, Maracaïbo et Puerto Cabello) et propageaient les idées insurrectionnelles dans la province de Caracas. Une autre conspiration fomentée depuis 1794 revendiqua « la liberté et l’égalité » pour tous. Elle était dirigée par Manuel Gual et José Maria España, deux hacendados, propriétaires terriens, partisans d’« abolir l‘esclavage comme contraire à l’humanité ». Un troisième meneur, Juan Bautista Picornell, réfugié à La Guaira, voulut proclamer l’indépendance du Venezuela « sur le pied d’une république fédérale ». Dénoncée, la conspiration fut brisée en juillet 1797. España fut écartelé sur Plaza mayor de Caracas le 8 mai 1799, tandis que Gual réussit à s’échapper et à se réfugier à Port of Spain ( Trinidad ). Des rébellions d’esclaves éclatèrent dans les plantations de Louisiane en 1794-1795. Elles furent réprimées de façon exemplaire par la pendaison sur les quais de la Nouvelle-Orléans de vingt-cinq  nègres rebelles et par la déportation de trente-sept autres vers la Havane. L’influence haïtienne se fit sentir jusqu’au Brésil et en Uruguay où des esclaves nègres se révoltèrent et se concentrèrent dans une île du rio Yi, proclamant la république sous les auspices de la ley de los Franceses avec les mots d’ordre de Libertad, Iigualdad, Fraternidad.[…]


 

Si les évènements de Saint-Domingue exercèrent ainsi une influence déterminante dans le déclenchement de soulèvements d’esclaves et de mouvements de revendication de liberté dans la région des Caraïbes comme en Amérique du Nord et du sud, le gouvernement d’Haïti, après 1804, s’engagea lui-même contre la traite négrière. Henri Christophe, Alexandre Pétion et jean Boyer prirent des mesures énergiques dans ce domaine. Les navires de guerre haïtiens pourchassèrent les navires négriers portugais, espagnols ou cubains et, après les avoir capturés, procédaient à la libération des captifs africains. Ils combattirent également les pirates espagnols établis à Santiago de Cuba, à Baracoa ou à Trinidad, qui infestaient les îles. Ces pirates capturaient de jeunes Noirs pour les vendre comme esclaves aux planteurs cubains. La course haïtienne, partant de Port-au-Prince, des Cayes ou de Jacmel, constitua pendant longtemps un instrument de guerre sur mer pour un pays qui lutta toujours énergiquement contre la traite négrière qui sévissait dans la Méditerranée des Caraïbes.


Les Haïtiens ont joué un rôle important dans la progression, en Guadeloupe et en Martinique, de 1804 à 1848, du processus de destruction du système esclavagiste. Les révoltes qui se produisirent en 1818 en Guadeloupe, en 1822, 1831 et 1833 en Martinique, furent immédiatement interprétées par les autorités comme étant liées à l’activité d’émissaires haïtiens. Il en fut de même de l’insurrection en Guyane anglaise en 1808 et de la rébellion d’esclaves du Demerara de 1823, ou d’autres insurrections qui éclatèrent en Jamaïque (1831-1832) et à Porto Rico entre 1812 et 1848. 

              
 
Nelly Schmidt « L’abolition de l’esclavage : cinq siècles de combats XVIe – XXe siècle » –  Page 101 à 105

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