« Dans son ouvrage Black Morocco, l’universitaire Chouki El Hamel remarque en effet que la plupart des esclaves travaillaient surtout comme domestiques dans les foyers. D’autres exemples nous éclairent sur les tâches assignées à ces hommes et femmes tombés en servitude. On peut noter alors que des esclaves soudanais ont bâti une partie des murailles de la ville d’Essaouira, et qu’au XVIe siècle, ce sont des esclaves qui travaillaient dans les raffineries de sucre installées dans le Souss et la région de Chichaoua, permettant le troc de cette denrée contre d’autres biens précieux, comme le marbre d’Italie. Enfin, quelques esclaves étaient « exportés » vers les Amériques ou les îles Canaries depuis le port d’Essaouira et les côtes sahariennes au XVIIIe siècle. « Il y a bien eu des logiques esclavagistes au Maroc », conclut le chercheur Mustapha Naïmi. Des logiques qui mêlent racisme et conquêtes militaires et se trouvent souvent en butte au fait religieux.
« Les expéditions militaires en Afrique de l’Ouest ont bien sûr donné un coup de fouet à l’esclavagisme », remarque Naïmi. El Hamel rapporte les propos d’un chroniqueur marocain qui raconte que l’expédition envoyée par le sultan Ahmed Al Mansour en Afrique subsaharienne, en 1598, est revenue au Maroc avec dix-mille captifs hommes et autant de femmes. Ces actions militaires menées contre l’empire songhaï, en partie islamisé, ont choqué de nombreux ouléma qui réprouvaient l’usage de la violence contre des musulmans, pratiquant le rite malékite comme eux qui plus est. La mise aux fers de Ahmed Baba, théologien très réputé de Tombouctou, lors de cette opération, a indigné les ouléma marocains. Ahmed Al Mansour s’est défendu contre ces critiques en invoquant l’intérêt pour le monde musulman d’une unité pour légitimer son action. Moins d’un siècle plus tard, le sultan alaouite Moulay Ismaïl aura lui aussi recours à des arguments religieux pour justifier la création de son armée noire, la fameuse garde des Abid Al Boukhari, qui comptera jusqu’à 60 000 soldats selon plusieurs sources. Le sultan comptait réduire à l’état d’esclaves même les Haratine, noirs libres et musulmans, pour les intégrer à sa garde. Pour ce faire, il argue qu’il en va de la sécurité de la communauté musulmane, menacée par les chrétiens. Les fqihs proches du pouvoir opinent du chef. Un argumentaire raciste ne tarde pas à être développé pour renforcer la position du sultan. El Hamel cite un alem soussi, soutenant la démarche de Moulay Ismaïl, qui détaille même les tares physiques et mentales des noirs pour légitimer leur asservissement. Le racisme a bien accompagné cette opération décidée par le sultan alaouite, à tel point que le vocabulaire en a porté les marques. Les termes « Abd » et « Aswad » ont longtemps été des synonymes interchangeables, rappelle El Hamel. Et en berbère, les Noirs étaient appelés « atig entisent » ( le prix du sel ), terme qui renvoie à l’idée que tout noir était une marchandise. Devant ce racisme éhonté et profondément aux antipodes de l’égalitarisme islamique, de nombreux ouléma se sont opposés à la réduction en esclavage de musulmans, d’autres ont défendu même les droits des esclaves païens, se basant sur divers traités juridiques malékites. Le fameux cheikh de Tétouan, Ahmed Ben Ajiba, reprochait à ses confrères leur racisme, et Abdessalam Guessous, célèbre alem de son temps, a interpellé avec virulence Moulay Ismaïl sur son projet. Irrité par le comportement de ce alem, le sultan ordonne de l’arrêter et de le tuer par strangulation.«
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